Édito du mois de mai - Financement des entreprises : la spirale infernale
- Jérôme DARRAS

- 27 mai
- 3 min de lecture

Les parlementaires n'ont pas pour seule prérogative de voter la loi. En application du principe de séparation des pouvoirs, ils ont aussi à contrôler l'action du Gouvernement. Ils disposent pour cela de divers moyens, parmi lesquels les commissions d'enquête. Le Sénat s'est, depuis la très médiatique « affaire Benalla », illustré par la pertinence et la qualité de ses rapports et de leurs préconisations finales.
Plus récemment, la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic a suscité une prise de conscience générale et l'adoption le 29 avril dernier d'une proposition de loi sénatoriale. Et ce sont aujourd'hui les conclusions de la commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle, communément appelées « affaire Nestlé Waters » ou « le scandale des eaux en bouteille » qui défraient la chronique.
Je siège pour ma part à la « Commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants ». Depuis février 2025, nous avons auditionné sous serment pas moins de 95 personnes : dirigeants de grandes entreprises, syndicalistes, ministres et anciens ministres, responsables d'administrations centrales françaises et européennes, économistes, universitaires.
Je vous communiquerai dès leur achèvement la conclusion de nos travaux, mais je veux dès à présent vous livrer ce qui m'a particulièrement frappé au fil des auditions. La plupart des grands patrons nous ont de bonne grâce détaillé des aides publiques reçues par leur groupe. De même se sont-ils efforcés de répondre précisément à nos questions sur notre incompréhension de voir des entreprises bénéficier d'aides publiques, distribuer d'importants dividendes à leurs actionnaires, racheter parfois leurs propres actions, et dans le même temps procéder à des licenciements.
Je déduis de leurs réponses deux enseignements.
Primo, les patrons de ces grands groupes, dont les capitaux sont souvent très majoritairement détenus par des actionnaires étrangers, ne font qu'appliquer la loi d'airain du capitalisme financier mondialisé : servir prioritairement et généreusement lesdits actionnaires, qui n'ont d'autre lien avec l'entreprise que le rendement de leurs titres, sous peine de les voir déserter pour s'investir en n'importe quel autre secteur d'activité et pays du monde.
Secundo, dans cette concurrence mondiale, non seulement les aides aux entreprises sont-elles nécessaires, mais la contribution de ces dernières à l'effort collectif national, par l'impôt ou les charges patronales, apparaîtra-t-il toujours trop élevée face aux concurrents retenus dans les pays à faible système social.
Le capitalisme financier mondialisé nous entraîne ainsi dans une spirale infernale, d'enrichissement des possédants et d'affaiblissement du rôle de redistribution des États, garants d'une juste répartition des richesses produites dans le pays. Dans une telle logique, les grandes entreprises sont au final en compétition dans la recherche de capitaux et les États eux-mêmes en concurrence dans le prélèvement qu'ils opèrent sur l'activité économique.
Si nous voulons préserver le modèle social français, poursuivre l'indispensable transition écologique et maintenir à niveau notre défense pour assurer notre sécurité dans un monde dangereusement troublé, il nous faut nous attaquer sans tarder à la refonte de notre système économique, avec comme condition première que les efforts demandés soient équitablement répartis. J'aurai l'occasion d'y revenir ultérieurement.
Je reste à cet égard attentif aux préconisations attendues du « conclave » sur la réforme des retraites, initiée par le Premier ministre. Le droit à la retraite constitue un marqueur important de notre modèle social. Repousser l'âge de départ offre précisément un mauvais signal dans la juste répartition des efforts et justifierait selon moi une censure du Gouvernement par mes collègues parlementaires de l'Assemblée nationale.



Commentaires